Le vélo by Rene Fallet

Le vélo by Rene Fallet

Auteur:Rene Fallet [Fallet, Rene]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2012-03-22T01:03:42+00:00


CHAPITRE III

Je me suis toujours passionnément intéressé au vélo. Après la guerre, en banlieue parisienne, il était le sport-roi et, le train mis à part, l’unique moyen de locomotion.

Mon « vélo » d’alors méritait ces guillemets : il avait des pneus, pas de boyaux hélas, et ne disposait que de trois vitesses. Je l’avais acheté à un Arabe, aux Puces de Clignancourt. Six mille anciens francs, la moitié de ma paie, et ce fut, ce vélo hybride, l’un des très grands jours de ma jeunesse. Un premier baiser, presque…

Nous organisions des « courses », entre copains, tout autour des écoles Berthelot, à Villeneuve-Saint-Georges, et, d’emblée, je m’aperçus que je n’avais pas la classe – même aussi près des écoles ! – que je n’aurais jamais ni « la frite », ni « le coup de savate », bref que jamais je ne serais Vietto, mon idole.

Cruellement déçu, je reportais mes espoirs cyclistes sur mon frère Claude surnommé « Tarin » en hommage à la robuste constitution de ses narines.

Comme il nous battait tous, nous « plantait » dans les bosses et nous réglait au sprint les doigts dans son vaste nez, nous en avions conclu en toute modestie qu’il avait à coup sûr l’étoffe d’un champion.

Il ne demandait qu’à nous croire et prit sa licence à la F.S.G.T.

Vint le jour de sa première course de « corpos », une « 3 et 4 ». Lire « troisième et quatrième catégories », mais catégorie se prononce plus simplement « caté », cela va de soi.

Toute la semaine, nous avions entraîné, bichonné, massé, couvé notre crack. L’avions « conditionné psychologiquement ». Empêché ce piton conséquent de plonger sans mesure dans ce qu’il affectionnait déjà, « tutu », « jaja », picrate ou pichtegorne. C’était là ses amphétamines, à notre « cador » du circuit Berthelot.

A l’époque – 1947-1948 – les « 3 et 4 » réunissaient au départ, sur la place de la gare de Villeneuve-Saint-Georges, des monstrueux pelotons de trois à quatre cents concurrents. Tarin mon aîné était là-dedans, par définition, comme dans un plat de lentilles.

Accompagné par tous mes potes de la « Banlieue Sud-Est », Bébert Delatouche, Cous, Alix, etc., je m’étais posté à l’endroit stratégique, dans un virage de la côte de Beauregard, bien connue de tous les coureurs parisiens, « P’tit Louis » Caput en tête. L’arrivée était jugée au sommet, devant le cimetière. Les « morts » n’avaient pas grand chemin à parcourir, une fois la ligne franchie.

Nous béions tous d’optimisme, en attendant un dénouement qui ne pouvait être que triomphal pour « notre » coureur. Dans Beauregard, pensez, qu’il connaissait mieux que son verre, notre régional allait « voltiger », s’envoler, donner un récital, un festival !

Des hurlements nous prévinrent que les premiers étaient en vue. Nous envahîmes la chaussée pour acclamer Tarin. Les échappés nous apparurent… sans Tarin. Nous nous regardâmes, atterrés.

— Il a dû crever… fis-je.

— C’est sûr ! Manque de pot ! se lamentèrent les autres.

Un second groupe survint. Puis un troisième.

Toujours pas de Tarin.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.